Depuis les années 60, ses fameux grains se répandent à la grandeur de la Teranga. Le riz du Sénégal – provenant de trois milieux soit irrigé, pluvial ou en profondeur – est aujourd’hui l’accompagnement indissociable du poisson thiéboudienne, du mafé à base d’arachide et du yassa au poulet. L’aliment occupe une place de choix quotidienne dans les assiettes mais qu’en est-il de sa compétitivité par rapport au riz asiatique ? Pour faire le point, l’expertise de deux spécialistes en riziculture, l’engouement d’une partisane du manger local et une mère de famille sénégalaise livrent leurs impressions.
Pour Abdoulaye Diapakha Tandia, dévoué chargé de programme sectoriel pour l’ONG canadienne CECI depuis 2012, le riz sénégalais n’a pas de secret. À sa simple évocation, il affiche une mine de satisfaction et de fierté pour la culture du riz local. Il en connaît l’historique sur le bout des doigts, comme il le relate en guise d’entrée en matière : « Avant, nos pères et ancêtres ne consommaient pas de riz mais plutôt des céréales locales. Depuis la colonisation, le riz est devenu le principal aliment de consommation au Sénégal. » Ainsi, la population choisit fort majoritairement le riz asiatique dit brisé dont la qualité et la préservation sont supérieures. Mais qu’en est-il de l’enjeu de disponibilité sur le marché ? Malheureusement, le riz local est peu présent sur les rayons des supermarchés et autres surfaces de vente, malgré les investissements faramineux des plusieurs milliards de francs CFA de l’État pour soutenir la production locale, en aménageant des terres de superficie conséquentes.
Grâce au programme UNITERRA financé par Affaires Mondiales Canada, Abdoulaye expérimente un projet pilote avec des acteurs stratégiques de la filière, des producteurs du nord et du sud du pays, quelques organisations de jeunes et femmes du milieu urbain de la région de Dakar afin de rendre accessibles le riz local dans la banlieue de la capitale sénégalaise. Un tandem dans le plaidoyer par des relations soutenues avec le Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux (CNCR) et la Fédération des Périmètres Autogérés (FPA). Le principal défi consiste à promouvoir les valeurs nutritives du riz sénégalais et à démontrer la gamme de recettes à base de l’aliment pour accroître sa popularité. « Au Sénégal, il y a trop peu de communication sur le riz local. La publicité coûte trop cher et je crois que les radios communautaires peuvent jouer un rôle important et faire des efforts en matière de promotion en mettant de l’avant les différentes qualités nutritives du riz local. Celà générerait plus d’intérêt », souligne-t-il, confiant et optimiste de voir les canaux radiophoniques s’ouvrir à cette dimension. La qualité actuelle du riz sénégalais n’a rien à craindre face à l’offre venant de Chine.
Dans le foyer d’Odile Ndiaye, ses trois enfants et son mari attendent leur ration de riz quotidienne. Une corvée s’ajoutant à celle du ménage et de l’entretien qu’elle assume dans une grande maison du quartier point E de Dakar. Pourquoi choisit-elle un sac de riz asiatique plutôt que d’acheter local? « Parce qu’il est déjà prêt pour la cuisson, nettoyé et cela facilite ma vie…»
Le rôle des femmes s’avère prépondérant afin de protéger la compétitivité du riz sénégalais. Leur apport, souligne M. Tandia, s’étend jusqu’à la promotion de saines habitudes alimentaires locales auprès de la société par le concours d’initiatives d’envergure, comme la plateforme des organisations professionnelles de l’agroalimentaire du Sénégal (POPAS) qui s’est tenue à Dakar en décembre dernier. Manger local est plus qu’une évidence pour Nafi Diagne Guèye, présidente du puissant réseau auquel ont adhéré pas moins de 150 entreprises agroalimentaires dans lesquelles œuvrent plus de 2 500 hommes et femmes du Sénégal. « Les produits locaux constituent un levier de développement de notre pays », croit avec ferveur la mobilisatrice.
Autre pionnière de la riziculture au Sénégal, Maguette Niane Seye est une femme à trois dimensions : Ingénieure en développement local, Spécialiste en Système d’Information Géographique et Coordonnatrice de la Fédération des Périmètres Autogérés. Elle assume ses fonctions à partir de la région de Saint-Louis, la plus fertile en riz, au cœur de la commune de Ross Béthio, selon le modèle associatif primordial pour l’union et la défense des producteurs et productrices. Pour elle, les habitudes alimentaires des Sénégalais en riz se résument encore beaucoup au riz brisé ordinaire et parfumé asiatique. « Le riz asiatique est plus connu et moins cher, les femmes sénégalaises ont l’habitude de le préparer ». Elle reconnaît toutefois qu’une tendance de consommation pour le riz est perceptible.
Les efforts de la FPA dans la promotion et le développement du riz local sont remarquables. L’organisation dispose d’un espace de culture de plus de 11000 hectares dont annuellement, près de 9000 ha sont destinés à la riziculture. De plus, les producteurs bénéficient d’une formation deux fois l’an sur les manières de produire, selon des normes strictes de qualité et contrôle. Des unités de transformation du riz gérées par les femmes et une structure de commercialisation dans la vallée et dans les grandes villes sont à la portée des membres actifs. « Nous insistons aussi beaucoup sur les aspects de communication », ajoute la dynamique jeune femme.
Sur la question des stocks disponibles, tant en zone urbaine que rurale, Mme Nianee Seye est du même avis que M. Tandia avec qui elle collabore étroitement. Elle évoque qu’il n’y a pas d’enjeux directs liés à l’écoulement des stocks de riz local car le riz est introuvable durant une bonne partie de l’année, comme elle le relate par cette conclusion qui en dit long : « Pour l’instant, la demande est supérieure à l’offre…» Un point de vue moins optimiste que celui maintenue par M. Tandia pour qui les cinq prochaines années pourraient bien marquer une révolution dans l’autosuffisance en riz au pays de la Teranga, si les efforts de tous les partis sont maintenus.
Hélène Boucher
Journaliste indépendante