Le blackout observé par les pouvoirs publics sur la longue grève de l’Alliance des syndicats de la Santé (AND GËSSËM) traduit, en tout premier lieu, le peu de considération, dont ils font montre à l’égard des revendications des travailleurs de la Santé et de l’Action sociale.
Cette grève-marathon avait été entamée depuis le mois d’Avril dernier, face à ce que les syndicalistes considèrent comme une mauvaise volonté du gouvernement à revaloriser leurs indemnités, comme il l’a fait pour d’autres corps de métiers (médecins, enseignants, travailleurs de la Justice…).
Elle a mis à nu une des tares fondamentales de notre système sanitaire, à savoir son incapacité à anticiper sur des crises imprévues comme une aggravation brusque du climat social, poussant d’importantes franges du personnel socio-sanitaire à une radicalisation extrême.
Par ailleurs, si on prend en compte le fait, que ces mots d’ordre syndicaux affectent, de plein fouet, les habitants de zones rurales ou suburbaines, où l’accès aux soins est, de toutes façons, problématique, on comprend aisément que cette omerta reflète également la faiblesse de l’engagement de nos décideurs en faveur de l’équité en matière de santé.
Il est vrai que ce sont les structures fréquentées par les populations les plus démunies, qui sont les plus touchées par la grève, au moment où les classes moyennes et celles gravitant autour du pouvoir ont toujours le loisir d’utiliser les structures sanitaires du secteur privé ou de se rendre à l’étranger, pour se soigner.
On peut imaginer l’effet néfaste de ce malaise social sur la conscience professionnelle, les performances et la productivité de ressources humaines déjà insuffisantes et profondément démotivées. Cet état de fait, à son tour, affecte l’efficacité du système de santé, dont l’offre de paquets de prestations est dépréciée, avec un bouleversement de la chaîne de commandement, mettant les chefs de service dans une situation inconfortable et empêchant de situer les responsabilités, au plan technique.
Comble de malheur, le mot d’ordre de rétention de l’information sanitaire ne facilite pas la correction de la mal-gouvernance sanitaire, empêche l’identification des problèmes de santé, l’appréciation de leur niveau de résolution, ainsi que l’impact des actions de grève elles-mêmes, en termes de préjudices causés aux usagers.
La détérioration du climat social conduit, aussi, à une exacerbation des difficultés de financement dans un système sanitaire souffrant déjà de gaps induits par le non-remboursement des dettes liées aux politiques de gratuité, sans oublier les coupes budgétaires au niveau des entités opérationnelles, devenues récurrentes depuis 2012.
C’est ainsi que toute la politique de couverture sanitaire universelle, déjà si difficile à mettre en œuvre, se trouve discréditée à cause d’une démultiplication des obstacles (financiers, géographiques et autres) à l’accès des pauvres et des personnes vulnérables aux services de santé.
Inutile de dire que, dans ces conditions conflictuelles, l’accès universel à des produits médicaux et des technologies sanitaires essentiels, qui était déjà précaire, est compromis. Cela va de la panne d’équipements médicaux par absence de maintenance, à la rupture de stock de médicaments, d’intrants et de réactifs empêchant la réalisation de l’aide au diagnostic et la prise en charge optimale des usagers.
Il résulte de ce déficit global en ressources une détérioration de la qualité des soins, car nul n’ignore que ce sont les recettes issues de la participation des populations, qui pallient l’insuffisance des budgets étatiques. On n’insistera jamais assez sur les difficultés, que rencontrent les responsables de structures sanitaires à honorer la masse salariale des agents de santé communautaires, des personnels vacataires pour suppléer au déficit criard de ressources humaines.
Face à la démission des autorités politiques de notre pays, obsédées par leur réélection, occupées à mettre en scène de grandioses cérémonies d’inauguration, à forte connotation électoraliste, le mouvement syndical n’est pas exempt de reproches.
Premièrement, Il y a lieu de déplorer l’éparpillement des organisations syndicales du secteur et la léthargie des centrales syndicales. Ensuite, le mode de prise de décision directif et excessivement centralisé finit par montrer ses limites lors des combats de longue haleine. En outre, les luttes des travailleurs de la Santé et de l’Action sociale pâtissent du déficit de liaison avec les populations, en raison de leur approche corporatiste, privilégiant les gains immédiats qu’ils peuvent soutirer au gouvernement, en occultant le contexte sociopolitique national.
Enfin, la gestion de la lutte souffre aussi du déficit de légitimité de certaines directions syndicales, ayant souvent dépassé les termes de leur mandat.
Face aux menaces multiformes sur la santé de nos populations, il est temps pour l’Exécutif national, d’engager le dialogue avec les travailleurs de la Santé et de l’Action sociale.
Dr Mohamed Lamine LY
Spécialiste en santé publique.