La Chambre criminelle de la Cour suprême qui statuait hier, jeudi 20 décembre, sur les recours déposés par Khalifa Ababacar Sall dans le cadre de l’affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar a mis son délibéré jusqu’au 3 janvier prochain. La chambre criminelle a pris cette décision au terme des plaidoiries qui ont duré plus de douze heures de temps.
Jugé hier, jeudi, en cassation dans le cadre de l’affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar, Khalifa Ababacar Sall ne connaîtra son sort qu’en début d’année 2019. La Chambre criminelle de la Cour suprême qui statuait hier, jeudi 20 décembre, sur les 11 pourvois en cassation que la défense de l’ancien maire de Dakar a déposés avec ses co-prisonniers dont Yaye Bodian et Fatou Traoré a mis en délibéré sa décision jusqu’au jeudi 3 janvier prochain, au terme d’une audience de plus de 12 heures de temps.
Les débats, lors de cette audience, ont tourné pour l’essentiel autour de la demande de surseoir à statuer de la défense qui a soulevé une exception d’inconstitutionnalité des alinéas de l’article 155 du Code pénal. Lesquels alinéas disposent respectivement : «A l’égard des prévenus reconnus coupables des faits punis par les articles 152 à 154, l’application des circonstances atténuantes sera subordonnée à la restitution ou au remboursement, avant jugement, du tiers au moins de la valeur détournée ou soustraite». Non sans relever que « Le bénéfice du sursis ne pourra être accordé qu’en cas de restitution ou de remboursement avant jugement des trois quarts au moins de ladite valeur ». Et encore que « La demande ou proposition de libération conditionnelle ne sera recevable qu’après restitution ou remboursement de l’intégralité de ladite valeur».
En effet, invités à prendre la parole pour apporter leurs observations sur les recours suite au rejet de la demande de jonction des pourvois et le renvoi de l’audience formulée par leur confrère Me François Sarr, les avocats de la défense sont longuement revenus sur cette exception. Premier avocat de la défense à prendre la parole, Me Seydou Diagne a commencé son intervention en évoquant une série d’observations tout en insistant sur la recevabilité des pourvois de la défense qui, selon lui, «ne souffrent d’aucune contestation et que même l’Etat du Sénégal à travers ses avocats ne les contestait pas dans ses mémoires». «Nous avons scrupuleusement respecté les délais. Nous avons bien produit un mandat signé par Monsieur Khalifa Sall pour tous les avocats, nous avons aussi fourni les quittances de paiement dont les copies sont jointes au dossier. Les pourvois de Khalifa Sall sont donc recevables et ne peuvent être frappés d’aucune irrecevabilité», a-t-il laissé entendre. Poursuivant ses observations, l’avocat a demandé à la Chambre dans la foulée du surseoir à statuer sur cette affaire pour, dit-il, permettre aux avocats de la défense de saisir le Conseil constitutionnel sur l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 155 du Code pénal. Poursuivant son intervention, la robe noire a également dénoncé la démarche de la Cour d’appel qui, selon elle, a décidé de maintenir le jugement rendu en première instance tout en annulant les procès-verbaux d’enquête préliminaire. Sous ce rapport, l’avocat a invité les membres de la Cour à déclarer la nullité de l’arrêt de la Cour d’appel de Dakar qui n’a pas tenu compte par ailleurs, selon toujours Me Seydou Diagne, de l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao qui a reconnu la violation manifeste des droits de la défense en déclarant que le procès en première instance n’était pas équitable.
Allant dans la même direction, Me Borso Pouye insistera sur l’obligation pour la Chambre de surseoir à statuer sur cette affaire pour permettre au Conseil constitutionnel de se prononcer sur l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par la défense. «Lorsque nous parlons de cette exception, nous retenons que les dispositions de la Loi sur le Conseil constitutionnel sont sans équivoque ». Pour sa part, Me Cire Clédor Ly dit ne pas comprendre la démarche de la Chambre criminelle. Rappelant que la Cour suprême dans l’affaire opposant Karim Wade au procureur spécial près la Crei, avait décidé suite à une demande formulée par la défense de sursoir l’audience pour saisir le Conseil constitutionnel, il déclarera : «Je ne comprends pas la démarche de la Cour et je ne la partage pas non plus parce que c’est une démarche qui nous mène vers une erreur de justice. Il n’est pas de la compétence de la Cour suprême de connaitre des exceptions d’inconstitutionnalité des Lois. Et une exception d’inconstitutionnalité ne peut être soulevée que devant la Cour d’appel ou devant la Cour suprême. Et le cas échéant, la Cour suprême est obligée de surseoir à statuer et de saisir le Conseil constitutionnel pour statuer sur l’exception d’inconstitutionnalité».
Les avocats de l’Etat rament à contrecourant de la défense
Prenant la parole à leur tour, les avocats de l’Etat du Sénégal estimant que les recours de leurs confrères ne sont pas motivés ont invité les six juges qui ont siégé lors de cette audience à les rejeter tous. Premier à prendre la parole, l’Agent judiciaire de l’Etat a rejeté les arguments évoqués par la défense pour justifier l’obligation que la Loi impose à la chambre de surseoir à statuer et de permettre au Conseil constitutionnel de trancher d’abord l’exception d’inconstitutionnalité formulée évoquée par la défense. Mieux, l’ancien substitut du procureur spécial prés la Crei soulignera même avoir relevé beaucoup de contradictions de la part de la défense qui, dit-il, évoque tantôt l’exception d’inconstitutionnalité tantôt parle de moyen de cassation en précisant que la Cour peut bien délibérer sans se référer au Conseil constitutionnel lorsqu’elle estime que l’exception soulevée ne détermine pas la solution du litige.
Abondant dans le même sens, Me Baboucar Cissé rappelle que cette exception d’inconstitutionnalité a été déjà évoquée devant la Chambre d’accusation qui a statué que le moyen n’est pas sérieux et a rejeté ce moyen et devant la Cour d’appel qui est allée dans le même sens que la Chambre d’accusation. Mieux poursuit-il, « pour que le dossier soit renvoyé au Conseil constitutionnel, il faudrait qu’il soit prouvé que les solutions du litige concernent l’application des dispositions de l’article 155 du Code pénal qui ne cherche que réaménager la peine ». Sous ce rapport, il a invité la Chambre criminelle à rejeter la demande de la défense. A la suite de Me Cissé, Me Samba Bitèye, Me Moussa Félix Sow et Me Yérim Thiam ont pris la parole pour réfuter également les arguments de la défense. Concluant leurs propos, ils ont invité la Chambre criminelle à déclarer irrecevable ou mal fondé l’ensemble des recours introduits par les requérants. De son côté, l’avocat général qui a été plus bref que toutes les parties a indiqué que la défense a soulevé près de quarante moyens dans cette affaire et que le parquet a répondu mais dans le sens d’un rejet.