Le Ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté Alimentaire et de l’Élevage a réuni ce lundi à Dakar 300 jeunes diplômés issus des centres de formation agricole et d’élevage du pays. Une initiative saluée pour son caractère inédit mais qui, à y regarder de plus près, s’inscrit dans un contexte agricole marqué par de fortes contradictions entre objectifs gouvernementaux et performances réelles.
Alors que le Sénégal ambitionne l’autosuffisance alimentaire à l’horizon 2050, l’édition 2025 du rapport Agriculture et Sécurité Alimentaire du MASAE révèle que la production céréalière nationale a atteint cette année 3,7 millions de tonnes, en progression de 5,4 % par rapport à la campagne précédente. Malgré cette hausse, le pays reste encore largement dépendant des importations pour couvrir ses besoins alimentaires, notamment pour le riz, dont 1,15 million de tonnes ont été importées en 2024 selon les douanes sénégalaises. À ce jour, le taux de couverture nationale en riz est estimé à 47 %, bien loin de l’objectif de 100 % fixé à 2035 dans le cadre de la Stratégie de Souveraineté Alimentaire.
Dans cette perspective, le Ministre Dr. Mabouba Diagne a dévoilé lors de cette rencontre une stratégie qui se veut ambitieuse par la création de Coopératives Agricoles Communautaires (CAC), le renforcement des mécanismes mutualisés d’équipements agricoles via le dispositif CUMA–Allô Tracteur, et la valorisation des jeunes «Agri-Preneurs.»
Le plan prévoit également l’intégration des diplômés dans les fermes de l’ANIDA, les Domaines Agricoles Communautaires (DAC) et les projets agricoles en cours à travers le territoire. Pourtant, les précédents programmes de ce type peinent encore à produire des résultats mesurables. Selon les données de l’Observatoire National de l’Emploi et des Qualifications publiées début 2025, seuls 22 % des diplômés des centres agricoles entre 2015 et 2020 ont pu s’insérer durablement dans le secteur agricole formel.
L’Agenda Sénégal 2050, adopté par le gouvernement en 2021, table sur un doublement de la production céréalière nationale pour atteindre 7 millions de tonnes en 2040, avec une priorité donnée à la réduction des importations de denrées de base. Mais selon la Banque Africaine de Développement, cette ambition nécessiterait des investissements annuels supplémentaires de 220 milliards FCFA dans les infrastructures rurales, la mécanisation et les filières de transformation, soit trois fois le budget actuel alloué au secteur.
Au-delà des annonces, la réussite de ce nouveau modèle agricole sénégalais dépendra donc de la capacité des autorités à structurer des filières viables, attractives et économiquement rentables pour ces jeunes diplômés aujourd’hui massivement touchés par le chômage. La volonté politique affichée devra se confronter à la complexité des marchés, au déficit d’investissements et à la nécessité d’une gouvernance agricole modernisée. Ce rendez-vous inédit avec la jeunesse est peut-être un signal, mais il reste encore un long chemin à parcourir pour passer des discours de souveraineté alimentaire à une réalité économique durable. Zaynab Sangarè