Quel est le point commun entre l’ancienne présidente du Mouvement des entreprises comoriennes ; le Modec, l’avocat Afif Mshangama et le fils du président Azali Assoumani ? Une société : SFM Company Formation DMCC, spécialisée dans la création des entreprises offshores, comme elle l’affiche sur son site internet.
Il y a cinq ans, fin 2016, SFM Compagny Formation DMCC a créé la société Select Cars Africa International Limited, domiciliée à Dubaï aux Emirats Arabes. La seule actionnaire de cette entreprise est Faharate Mahamoud, l’ancienne présidente du Modec, qui est aussi la sœur de l’actuel Ministre de l’intérieur et de l’information, Mahamoud Fakridine. Le contrat de Fourniture de services administratifs, entre SFM et Faharate Mahamoud stipule que Select Cars est spécialisée dans la « vente de voitures et consulting dans le secteur de l’automobile”
Mais voilà, impossible de trouver la moindre trace d’activité de cette société. Pour en avoir le cœur net, nous rencontrons Faharate Mahamoud au siège de l’Entreprise générale de terrassement, l’EGT, l’une des grosses entreprises de l’archipel, héritée de son défunt père et qu’elle dirige aujourd’hui. Assise à son bureau, elle nous reçoit avec le sourire et consent à répondre à nos questions. Mais à peine l’entretien entamé, elle semble troublée, ne comprend pas comment nous sommes au courant de l’existence de cette société offshore. Elle veut savoir comment nous avons eu connaissance de ses affaires. L’expression de son visage se durcit.
Elle reconnaît être l’actionnaire de Select Cars Africa International Limited, mais indique ne pas gérer la société. “J’ai confié le management à une autre entreprise”, assure-t-elle. Pour autant, elle refuse de livrer le nom de l’entreprise qu’elle aurait engagée, ni celui du responsable. “Je ne sais pas si j’ai le droit de vous le dire,” justifie-t-elle.
Par ailleurs, l’ancienne patronne des entrepreneurs comoriens semble ne pas savoir dans quel domaine son entreprise opère. Tantôt elle dit que c’est une entreprise de vente de voiture et de consulting dans le domaine de l’automobile, tantôt “ c’est une société qui existe pour faciliter des échanges commerciaux”. Elle confirme ne pas faire d’affaires en Union des Comores, ni dans d’autres pays africains, mais dit vendre ses voitures en Europe, plus précisément en France.
Aucune trace d’activité, même pas sur Internet
Nous avons vérifié à Paris. Select Cars Africa International Limited n’apparaît nulle part sur le territoire français. Ni dans le registre du commerce, ni dans le réseau d’Extrait KBIS en ligne” une sorte de carte d’identité pour les entreprises au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) en France. L’un de nos confrères sur place Maxim Vaudano n’est pas surpris : “si l’entreprise est enregistrée aux Emirats, on ne trouvera rien dans le registre Français”, explique t-il. Et d’ajouter : “ Ce qui est déjà étrange, c’est que le nom de l’entreprise ne renvoie à rien sur Google. Si c’est une entreprise commerciale il y aurait des résultats”.
De la société, nulle trace numérique non plus. Ni site internet, ni page Facebook, rien. Elle n’apparaît dans aucun moteur de recherche. “Nous n’avons pas besoin d’exister ni physiquement, ni numériquement“, se défend Faharate Mahamoud. Pourquoi alors avoir créé la société à Dubaï et non aux Comores ? La gérante d’EGT estime que les Comores n’ont rien à lui offrir dans le domaine des affaires : “Pas de sécurité bancaire, ni financière. Aucun moyen de faire des affaires”, dit-elle.
Nous avons demandé à l’Agence nationale pour la promotion des investissements (ANPI) si l’entrepreneure bénéficiait d’un appui financier ou bancaire en Union des Comores pour le compte d’EGT. Se référant à la liste d’agrément accordés par l’ANPI en 2016, on se rend compte qu’EGT y figure pour un projet de mise en place d’une nouvelle station de concassage. Choqué par les déclarations de l’ancienne présidente du Modec, qui affirme que l’Union des Comores ne lui apporte aucun moyen de faire des affaires, notre interlocuteur s’insurge : “Comment peut-elle sortir des affirmations pareilles ? Nous l’avons accompagnée depuis 2016 jusqu’en 2019 et soutenue par des exonérations d’impôts sur les bénéfices et des exonérations douanières sur ses importations. Savez-vous combien coûte le dédouanement de ses engins ? » Il marque un silence et reprend :“Récemment, elle avait des engins à dédouaner. Sur une machine qui coûte 1 million KMF, (2 mille vingt six euro); au lieu de payer 47% de la valeur elle ne paye que 7%. Et son site de concassage de Hayaha que nous avons accompagné sous la forme d’un nouveau projet ? C’est incroyable les choses qu’on peut dire !”
Si l’entreprise de vente de voitures et de consulting dans le domaine de l’automobile existe bel et bien légalement sur papier à Dubaï – nous l’avons trouvée dans le registre du commerce des Emirats – c’est juste une boîte aux lettres, une coquille vide. Elle est logée à la même adresse que SFM Company Formation DMCC qui, selon Faharate Mahamoud, s’occupe “de la mise aux normes et donne l’agrément de l’entreprise”.
Dans les documents de Select Cars Africa International Limited, on trouve également un nom : celui de l’avocat d’affaires Afif Mshangama, fondateur du cabinet AvoGama. L’avocat s’est acquitté des droits de mise aux normes à hauteur de 2,280.00 euros entre décembre 2017 et novembre 2018. D’après Faharate Mahamoud, Afif Mshangama n’est ni son avocat ni l’avocat de son entreprise mais juste un ami. “Il était aux Emirats, sur place. Je lui ai envoyé de l’argent pour payer la facture”, dit-elle, en évoquant le hasard. A la fin de notre entretien, déstabilisée par nos questions, elle avoue avoir “l’impression d’avoir fait quelque chose de mal“.
Le fils du Président
Select Cars Africa International Limited interroge. Tout comme une autre société en lien avec SFM et… Afif Mshangama : Olifants Limited, créée par Nour-El-Fath Azali, fils du président Azali Assoumani dont il est aussi conseiller privé chargé des affaires économiques depuis 2019.
Nour-El-Fath Azali confirme lui aussi avoir créé son entreprise Olifants Ltd à Dubaï par le biais de SFM en 2018 avec son ami, partenaire et avocat d’affaires Afif Mshangama. Nous avons rencontré Nour El-Fath à son bureau à Beit-Salam. Il a accepté de répondre à nos questions. En revanche, hors de question d’enregistrer cet entretien : “Pour cela, il faut que je demande conseil au service de communication et juridique“, dit-il. Nous nous sommes résolus à prendre des notes.
Le fils du président de l’Union des Comores explique que sa société Olifants Ltd est une entreprise de conseil. “Vous savez, au début, je ne voulais pas entrer en politique, je voulais faire du business. J’ai créé cette société Olifants Ltd car je voulais travailler pour moi. C’est une société de conseil, d’audit, d’investissement et divers“. Quant à Afif Mshangama, “c’est un partenaire. Si je créais une société de conseil, j’allais avoir des aspects juridiques. Nous sommes associés et amis“.
Une source proche de la présidence ne souhaitant pas que son nom apparaisse dans cet article affirme que les deux hommes sont plus que des amis, “des frères”. “D’ailleurs, c’est grâce à Afif que son frère Aziz était à la communication de Beit-Salam. En tant que juriste, Afif Mshangama est consulté sur certaines affaires de l’Etat”. Chose que le fils du président confirme : “C’est vrai qu’il est consulté sur des affaires très spécifiques”, mais il ajoute que son ami n’a aucun titre officiel et qu’aucun décret ne le nomme conseiller. En 2018, Afif Mshangama participe à une délégation présidentielle aux Emirats Arabes Unis avec comme titre “conseiller du président”.
Le choix d’enregistrer son entreprise aux Emirats Arabes Unis résonne pour Nour-El-Fath comme une évidence : “c’est le centre du monde“. Il évoque aussi la facilité : “c’est plus facile pour moi de faire des allers-retours et c’est beaucoup plus facile d’attirer des Asiatiques aux Emirats qu’en France”, se défend-t-il. “J’avais aussi besoin d’utiliser un prête-nom sur place pour installer mes affaires”.
Pour autant, il garantit que la société n’a enregistré aucune activité depuis sa création. D’ailleurs, il affirme l’avoir “fermée en 2019” avant même qu’il soit nommé conseiller spécial auprès de son père. “J’ai commencé à recevoir des mails pour le renouvellement et j’ai demandé la fermeture“. Pourtant, selon la facture qui date du 18 février 2019, jusqu’à Mars en 2020, Olifant Ltd était toujours active . Pour Nour-El-Fath Azali, cela s’explique par “une histoire de démarches“.
Nour-El-Fath affirme n’avoir aucune relation avec la gestionnaire d’EGT. “Je n’ai aucune relation avec Faharate Mahamoud, juste qu’ elle avait des soucis avec le Modec. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à échanger. Je l’ai mise en contact avec le ministre des Finances pour qu’ils trouvent un terrain d’entente. J’ai essayé d’organiser des rendez-vous auprès de l’Etat, c’est tout“, se justifie-Nour-El-Fath. Le reste ne serait donc que hasard et coïncidence ?
L’avocat Afif Mshangama a répondu aux questions de Will Fitzgibbon, un confrère de ICIJ. Il affirme toujours faire “la promotion du Business aux Emirats” pour ses amis et clients. Il confirme avoir recommandé SFM à Faharate Mahamoud : “Elle m’a interrogé à une époque si je connaissais quelqu’un qui créait des sociétés à Dubaï, car elle voulait y ouvrir une base pour des nouveaux marchés sans lien avec les Comores. Je lui ai recommandé SFM”. Il reconnaît cependant ne pas être au courant des activités de Select Cars Africa Internal Limited. “Je ne connais pas son business au sein de sa société enregistrée chez SFM. Il est arrivé qu’elle me demande de payer le renouvellement de sa licence et qu’elle me rembourse car je me trouvais en déplacement à Dubaï“.
Par ailleurs, il nie être le conseiller juridique du Président Azali Assoumani : “Une confusion est intervenue dans la microsphère car lors d’un voyage au cours duquel j’avais accompagné le Président (…) en tant qu’expert, mon nom a été mentionné dans la délégation avec la mention « conseiller”. Il affirme avoir le gouvernement comorien comme “client, prestigieux certes, mais un client quand même“.
L’avocat reconnaît aussi avoir été le partenaire du fils du président dans Olifants limited. Et confirme la version de son ami, pour la fermeture définitive de leurs entreprises à Dubaï. Aux Comores, ce domaine laisse un vide juridique important. Le Code général des impôts n’oblige en rien le Comorien et résident, qui a son entreprise offshore ou non dans un autre pays, de la déclarer à Moroni. D’ailleurs, l’impôt sur le revenu de l’entreprise non plus. Rien non plus dans le texte de la banque centrale des Comores.
Une enquête réalisée par Hayatte Abdou dans le cadre des Pandora Papers sous la coordinnation de l’ICIJ et de la CENOZO.