Un départ en trombe, une candidature annoncée en grande pompe, puis une chute libre. L’entrée dans la mare politique de Bougane Guèye Dany a épousé les contours de la trajectoire d’un ballon de baudruche dégonflé. Pendant plus de trois semaines, Emedia.sn a rassemblé les pièces d’un puzzle qui révèle, au bout du compte, les difficultés financières – surtout – et techniques qui ont barré le chemin du leader de la coalition « Gueum sa Bopp », finalement recalé avant la course au palais.
Investi le samedi 1er décembre 2018 par une foule venue en nombre répondre à son appel, le candidat à la présidentielle Bougane Guèye Dany avait annoncé avoir presque atteint la barre symbolique des 800 000 signatures pour se faire parrainer en vue du scrutin du 24 février 2019. « Au début, j’avais dit que, pour participer à cette élection présidentielle, il nous faut obligatoirement entre 500 000 et 1 million de parrains. Et actuellement, nous avons 794 881 signatures », déclarait-il face à un public survolté. Mieux, le patron de D Medias assurait même avoir sollicité les services d’un huissier de justice (Me Abdoulaye Bâ, dont l’étude se trouve à l’adresse 06 rue Fleurus X Alfred Goux) pour faire certifier ses signatures ainsi collectées à travers le territoire national.
« Près de 800 000 parrains certifiés par huissier »
Malgré ces précautions, le candidat de la coalition « Gueum sa bopp » (croire en soi), s’est pourtant vu recalé un premier temps par le Conseil constitutionnel où son mandataire a déposé son dossier le 24 décembre, soit près de deux semaines après la date d’ouverture (le 11 décembre, soit 75 jours avant la date du scrutin comme le dispose la loi) du dépôt. Ce n’est donc qu’à deux jours de la date butoir (le 26 décembre, soit 60 jours avant la date du scrutin comme le dispose la loi) que le dossier de Bougane Guèye a été déposé au greffe du Conseil constitutionnel au moment où, dans une course effrénée, la plupart des mandataires des autres candidats avaient déposé dans la nuit du 10 au 11 décembre, pris par l’enjeu du premier venu premier servi. Une lenteur pour le moins surprenante, pour un candidat qui, 10 jours avant, avait annoncé obtenir plus de 10 fois le maximum requis de signatures (66 800, soit 1% du fichier).
66 000 signatures déposées, 46 000 rejetées, 0 sur 5 régions, pas assez sur 5 autres régions
Selon des informations obtenues par Emedia.sn, cela résulterait moins d’un choix délibéré que d’un fait malheureux qui est arrivé à ses équipes (infiltrées ?). A quelques jours du dépôt, nous apprennent nos sources, le camp de « Gueum sa bopp » a égaré la clé USB servant de support électronique pour la collecte des parrainages (voir notre article sur le processus de vérification des listes de parrainages). Face à cette mésaventure, « il a fallu remobiliser les troupes pour reprendre le travail de récupération des données collectées et pendant plusieurs nuits de suite à la Cité Keur Gorgui (où se trouvent le siège de certaines des entreprises de Bougane Guèye), les équipes, dont la plupart étaient des agents de la plateforme Joni Joni, étaient obligées de travailler d’arrache-pied pour récupérer ce qui pouvait l’être. »
Pour vérifier l’information, pendant plusieurs jours, nous avons tenté de joindre le candidat, en vain, avant de nous rabattre sur le porte-parole de sa coalition, Cheikh Sadibou Diop. Joint au téléphone ce mercredi, ce dernier, qui se présente comme un agent recruteur de joueurs établi à Londres (Angleterre), s’est inscrit en porte-à-faux avec l’information de la perte de la clé USB. « C’est une information erronée, nous avons bien déposée avec la clé USB originale et nous avons toutes les copies des documents que nous avons collectées », nous déclare-t-il, au moment où il était en attente de la délibération du Conseil constitutionnel.
Pourtant, malgré ses dénégations, il semble bien que c’est ce qui expliquerait le nombre important (10 sur 14) de régions dans lesquelles la liste de Bougane Guèye Dani a été tout simplement rejetée (Kolda, Fatick, Matam, Tambacounda et Kédougou) ou n’a pas pu valider suffisamment de signatures (Saint-Louis, Louga, Ziguinchor, Sédhiou et Kaolack). Au finish, pour 66 819 signatures déposées au Conseil constitutionnel, il s’est vu retourner pas moins de 46 000 signatures pour divers motifs et n’a donc pu en valider qu’un peu plus de 20 000 !
Ses sociétés ont fait l’objet d’un ATD, ses comptes bancaires bloqués
Mais il n’y avait pas que ce souci technique ! D’autres informations nous sont également parvenues, faisant état de réelles difficultés financières auxquelles ferait face le PDG de D Media qui, pourtant, il y a près de deux ans (en février 2017), annoncé être passé de 10 000 F CFA à une fortune de 400 milliards F CFA en évoquant la holding qu’il a bâtie. En clair, le jeune (41 ans) patron de la dizaine de boîtes qui tournent majoritairement autour de l’information, la communication et l’import-export, serait confronté à de grands soucis financiers, à tel point que certaines de ses entreprises ont fait l’objet d’un ATD (Avis à tiers détenteur), une sorte de blocage de ses comptes bancaires sur demande du Trésor public. Si le porte-parole de sa coalition n’a pas voulu se prononcer sur le sujet qui, dit-il, ne regarde pas la coalition mais les entreprises du candidat, l’information est confirmée, sous le sceau de l’anonymat, par une source proche de lui et confirmée par des sources bancaires. « C’est vrai que récemment, il y a eu des problèmes avec les impôts au point que ses comptes soient ATD (blocage des comptes bancaires), révèle une de nos sources. Ce fut le cas avec Dak’Cor (une des sociétés de la holding de Bougane, spécialisée dans la Communication et la régie publicitaire, ndlr). Après, il a dû faire un acompte de 3,5 millions F CFA pour avoir la mainlevée sur ses comptes. »
Des employés qui ruent dans les brancards
Les employés de ses multiples sociétés ont fait les frais de ces mésaventures. Toujours sous le couvert de l’anonymat pour des raisons évidentes, certains d’entre eux nous ont ainsi conté leur sort : « Bien sûr qu’on ressent les difficultés. Pour les salaires, depuis plus d’un an, plus de la moitié des agents reçoivent leur salaire au-delà du 20, soit un retard de presque de 12 jours », témoigne un ex employé. « Il est en train de réduire drastiquement la masse salariale de ses boites par tous les moyens, en poussant certains à la sortie ou en leur faisant des propositions qui ne feraient que rendre leur situation précaire. Récemment certains agents de Joni Joni Joni (plateforme de transfert d’argent, appartenant à Bougane Guèye) payés via d’autres structures qui paient plus tôt. En réalité, depuis plus d’un an, Joni Joni est au plus mal pour ne pas dire proche du dépôt de bilan, il doit de l’argent à presque toutes les banques CNCA, Bimao et Diamond Bank en particulier » renchérit une autre employée, qui révèle également que face aux difficultés de Joni Joni, « le patron (Bougane) a convoqué certains des employés pour leur proposer d’être transférer à sa structure politique (la coalition « Gueum sa Bopp ») alors que ceci n’est pas une entreprise… » Puis, notre interlocuteur d’enchainer, non sans laisser poindre une certaine inquiétude : « Il y a eu beaucoup de départs et ce personnel n’a pas été remplacé. Aucun recrutement n’a été fait pour combler le gap et ça touche plusieurs des boites de la Holding. » Une holding composée de près d’une dizaine de sociétés, presque toutes autonomes : Zik FM, Sen TV, D Media qui édite le quotidien La Tribune, sont les trois entreprises de presse, Boss (Boygues Solutions and Systems Ltd) et BFinance chapeautent les entreprises opérant dans le mobile money (Joni Joni, VitFé…), Dak’Cor et Impactis sont dans la communication, la publicité et la régie tandis que Tradex est l’entreprise qui travaille dans le secteur de l’importation de divers produits comme les couches pour bébé et autres.
Emprunt de 10 millions F CFA pour compléter la caution
Naturellement, même si le porte-parole de la coalition s’en défend, ces soucis financiers auraient une forte incidence sur la stratégie de l’ancien journaliste, candidat déclaré à la présidentielle. En effet, une autre source proche de son équipe politique nous révèle que « même pour le dépôt de la caution de 30 millions F CFA (à déposer à la Caisse de dépôt et de consignation), il a fallu l’implication de « ses amis », un d’eux s’étant engagé à lui prêter la somme de 10 millions F CFA après lui avoir gracieusement participé, à hauteur d’un million F CFA, au meeting d’investiture de Guédiawaye. » Pour Cheikh Sadibou Diop, que des citoyens ait décidé de soutenir financièrement la candidature de son leader n’est qu’un train qui arrive à l’heure. « Dans un élan de solidarité, les membres de la coalition ont décidé de mettre la main à la poche pour financer notre campagne, comme d’autres l’ont fait pour leur candidat ; rien de plus. » Au finish, il n’y eut pas besoin de collecter une caution car le dossier de candidature de Bougane Guèye Dany a été « déchiré » par le Conseil constitutionnel.