ÉTUDE. Si l’on en croit un récent rapport publié sur la situation de l’emploi en Afrique, neuf personnes sur dix ne sont pas qualifiées pour les emplois auxquels elles postulent. Une faille qui pourrait entraver le développement du continent.
En Afrique, il est très difficile de trouver un travail. On estime que le continent crée chaque année entre 3 et 4 millions d’emplois, un chiffre bien insuffisant, car, selon les spécialistes, il lui en faudrait 12 à 15 millions. Sans compter que la notion d’emploi est complexe sur le continent africain et recouvre des réalités différentes. Dans certains contextes, l’emploi peut être salarié, stable, encadré par le Code du travail et une protection sociale. Dans d’autres, il peut être informel. Non seulement l’offre n’est pas pléthorique, mais 90 % des demandeurs d’emploi n’ont pas les compétences nécessaires pour exercer le métier pour lequel ils postulent. C’est ce que révèle un rapport du groupe Ringier One Africa Media (ROAM), qui regroupe les portails digitaux leaders du marché du recrutement en Afrique de l’Ouest (Jobberman) et en Afrique de l’Est (Brightermonday) ainsi que la société de solutions RH, The African Talent Company.
De l’art de postuler loin de sa qualification
D’après l’étude, cette situation serait due plus à une incompréhension des exigences de l’emploi, de la part tant des employeurs que des candidats, qu’à une pénurie d’offres. C’est que la majeure partie des demandeurs d’emploi du continent postulent pour des emplois qui relèvent rarement de leurs compétences, tout en délaissant les postes qui correspondent à leurs qualifications. Pour en venir à cette conclusion, la société a analysé des données provenant de plus de 12 millions d’utilisateurs, ainsi que de plus de 100 000 employeurs, au Nigeria, au Kenya et en Ouganda, actifs au cours des deux dernières années.
Matthew Page, responsable de l’emploi chez ROAM, a déclaré que les chercheurs étaient « surpris » par l’inadéquation entre les compétences et les offres : « Notre hypothèse de départ était que cela était dû à une pénurie d’emplois, à des lacunes sur les marchés du travail et au désespoir. Cependant, en approfondissant notre base de données, notre analyse a révélé que de nombreux candidats étaient certes qualifiés pour d’autres emplois disponibles, mais ne postulaient pas nécessairement pour ceux-ci. » Il y a ainsi un problème de corrélation entre les compétences acquises et les besoins du marché du travail. Et une autre réalité dont il faut avoir conscience : il y a très peu d’emplois formels.
Un potentiel énorme pourrait être libéré en cas de meilleure adéquation
Ce problème d’inadéquation entre l’offre et la demande a d’énormes conséquences sur le processus de recrutement. Par exemple, pour une offre d’emploi, il n’est pas rare pour les entreprises de recevoir entre 140 et 160 candidatures en moyenne. Or « embaucher la bonne compétence dès le départ génère généralement une productivité trois fois supérieure pour l’employeur. Cela minimise également le temps d’intégration nécessaire pour que l’employé soit opérationnel », expliquent les auteurs du rapport. La productivité pourrait être maximisée si les demandes non qualifiées étaient réduites. Clemens Weitz, PDG de ROAM, estime que l’amélioration des processus de recrutement sur le continent africain améliorera l’emploi et les perspectives économiques. « Relever ce défi libérera un potentiel économique latent énorme. Imaginons une économie efficace où tous les employés occupent un poste parfaitement adapté à leur nature : la productivité et la satisfaction vont monter en flèche », a-t-il déclaré.
Un outil stratégique sur lequel les États peuvent s’appuyer
Des informations essentielles pour les États africains. Le taux de chômage au Nigeria n’a cessé d’augmenter pendant les neuf derniers trimestres. En novembre 2018, le statisticien général Yemi Kale a même déclaré que le pays ne pouvait pas se permettre de publier des données actualisées sur le chômage. En Côte d’Ivoire, quelque 23 % de la population sont privés d’emploi. En Afrique du Sud, ce phénomène touche 27,3 % de la population, 18 % au Gabon et 29,8 % en Gambie. Le taux de chômage officiel du Kenya est de 7,4 %. Un chiffre très contesté, car, selon le Bureau national des statistiques, le pays est confronté à un problème généralisé de « sous-emploi ». Selon le Bureau international du travail (BIT), le chômage est la situation de « toute personne âgée de plus de 15 ans, sans travail, immédiatement disponible pour occuper un emploi, qui recherche activement du travail ».
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