Le Sénégal, comme de nombreux pays du Global South, fait face à une situation énergétique complexe, marquée par une forte dépendance aux énergies fossiles. Dans ce contexte, TotalEnergies, acteur majeur de l’industrie pétrolière et gazière, joue un rôle central dans le paysage énergétique du pays. L’entreprise s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le cadre de ses objectifs mondiaux de décarbonation. Cependant, la question demeure est-ce que ces engagements sont compatibles avec les réalités locales du Sénégal, notamment en termes d’accès à l’énergie, de développement économique et d’acceptabilité sociale ?

Le Sénégal, malgré ses efforts pour diversifier ses sources d’énergie, reste largement dépendant des combustibles fossiles. En 2021, près de 70 % de la production d’électricité du pays provenait de sources fossiles, principalement le gaz naturel et le pétrole. Cette situation est loin d’être unique, car de nombreux pays en développement continuent de s’appuyer sur ces ressources pour alimenter leur croissance économique et leur développement.

TotalEnergies, qui exploite plusieurs projets gaziers et pétroliers dans le pays, notamment le champ de gaz de Grand Tortue Ahmeyim, a pris des engagements ambitieux en matière de réduction de ses émissions de GES. L’entreprise a promis de réduire de 40 % ses émissions nettes de scope 1 et 2 d’ici 2030, par rapport à 2015. En 2023, elle a déjà enregistré une réduction de 24 % de ses émissions de GES, mais cette avancée pourrait se heurter à des obstacles dans des pays comme le Sénégal, où la transition énergétique est encore fragile.

Les projets de TotalEnergies au Sénégal, notamment dans le secteur pétrolier et gazier, sont souvent perçus par certaines populations locales comme des leviers pour le développement économique. Le projet Grand Tortue Ahmeyim, qui est l’un des plus importants investissements de TotalEnergies dans le pays, a pour objectif d’exploiter les vastes réserves gazières offshore découvertes au large de la côte sénégalaise. Cette exploitation promet de générer des milliards de dollars de recettes et de créer des milliers d’emplois. Toutefois, ces bénéfices ne sont pas toujours perçus de manière positive par tous, notamment en raison des impacts environnementaux et sociaux associés à ces projets.

Les préoccupations des populations locales sont multiples. Selon une étude menée par l’organisation Mediaterre, une grande partie des Sénégalais ne perçoit pas la transition énergétique comme une priorité. En effet, la plupart des citoyens restent focalisés sur les besoins immédiats, tels que l’accès fiable et abordable à l’électricité, l’eau potable, et la création d’emplois. De plus, des questions liées à la gouvernance et à la transparence dans la gestion des ressources naturelles restent en suspens. En 2022, un rapport de l’ONG Global Witness a souligné que les revenus issus de l’exploitation des hydrocarbures au Sénégal, qui devraient être une source importante de développement, sont mal distribués, créant ainsi des tensions sociales.

D’autre part, l’intensification des projets d’extraction de gaz naturel soulève des inquiétudes environnementales. Le Sénégal, pays côtier, est vulnérable aux effets du changement climatique, notamment la montée du niveau des océans. Le développement d’infrastructures liées aux combustibles fossiles pourrait donc accentuer ces risques, en plus de ne pas répondre de manière immédiate à la crise énergétique à long terme du pays.

La transition énergétique au Sénégal, comme dans de nombreux autres pays en développement, pose la question de son acceptabilité sociale. Bien que TotalEnergies affiche une volonté de se diversifier vers les énergies renouvelables, notamment à travers des investissements dans le solaire et l’éolien, la réalité est que la transition ne peut se faire sans l’adhésion des populations locales. Une étude de la Banque mondiale de 2023 indique que plus de 60 % de la population sénégalaise estime que les politiques énergétiques doivent être plus inclusives et adaptées aux spécificités locales. Or, dans un pays où près de 40 % des habitants n’ont toujours pas accès à l’électricité, la priorité reste souvent donnée à l’augmentation de la production énergétique via les énergies fossiles.

La question est donc de savoir si TotalEnergies parvient à concilier ses objectifs mondiaux de décarbonation avec les impératifs locaux de développement. Dans ses rapports, l’entreprise affirme qu’elle œuvre pour une transition juste, en soutenant la création d’emplois locaux et en améliorant les infrastructures énergétiques. Toutefois, selon un rapport de 2022 de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), les investissements dans les énergies renouvelables au Sénégal restent marginales par rapport à ceux dans les combustibles fossiles.

La gestion des risques liés à la transition énergétique dans un pays comme le Sénégal est complexe. Si l’on considère les investissements de TotalEnergies dans les énergies fossiles, notamment dans l’exploitation du gaz, ces projets peuvent créer des emplois temporaires, mais leur durabilité est incertaine. En 2020, le gouvernement sénégalais a estimé que le secteur des énergies fossiles employait environ 10 000 personnes, mais ces emplois sont souvent précaires et peu qualifiés, avec un faible impact sur le long terme pour l’économie locale.

La dépendance aux hydrocarbures pour le développement énergétique pourrait également limiter les investissements dans des secteurs d’avenir comme les énergies renouvelables. Si TotalEnergies veut réellement contribuer à la transition énergétique du Sénégal, l’entreprise devra équilibrer ses efforts en matière de réduction des émissions avec un soutien substantiel à l’infrastructure nécessaire à un véritable changement, notamment dans le solaire et l’éolien, qui sont des sources d’énergie beaucoup plus durables.

Bien que TotalEnergies ait pris des engagements significatifs pour réduire ses émissions de GES à l’échelle mondiale, son impact au Sénégal demeure encore flou. L’entreprise devra convaincre la population locale qu’une transition énergétique est non seulement nécessaire mais bénéfique, en particulier en créant des emplois durables et en améliorant l’accès à des sources d’énergie plus propres. Le défi sera de concilier les objectifs mondiaux de décarbonation avec les besoins locaux en matière d’énergie et de développement économique. Pour cela, une véritable collaboration entre les autorités sénégalaises, les entreprises comme TotalEnergies et les populations locales sera essentielle. Par Zaynab SANGARÈ