Ses sept coaccusés, accusés de lui avoir apporté leur soutien, ont été condamnés à dix-huit ans de prison. Détenu depuis 1 637 jours – plus de quatre ans et demi –, il n’avait eu de cesse de clamer son innocence, en vain. Le mécène turc Osman Kavala a été condamné lundi 25 avril à Istanbul à la perpétuité. Ses avocats, qui avait réclamé durant le procès son acquittement pour manque de preuves, ont fait part de leur intention de faire appel.
Les sept coaccusés de M. Kavala, accusés de lui avoir apporté leur soutien, ont été condamnés à dix-huit ans de prison.
Le philantrope, accusé d’avoir tenté de renverser le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan en 2016, ne pourra bénéficier d’aucune remise de peine, ont précisé les juges, dont le verdict, énoncé après moins d’une heure de délibéré, a été accueilli par des huées dans la salle du tribunal. Il a été seulement acquitté de l’accusation d’espionnage.
L’Association des juristes contemporains turques (CHD) a appelé les avocats à participer à une veille mardi devant le palais de justice pour protester contre le verdict. « Ce gouvernement, qui s’est abattu sur le pays comme un cauchemar, continue de piétiner le droit », a réagi de son côté le chef du principal parti turc de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu.
« Assassinat judiciaire »
Figure de la société civile turque, M. Kavala, 64 ans, était accusé d’avoir cherché à renverser le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan par le financement des manifestations antigouvernementales dites « mouvement de Gezi », en 2013, et lors du coup d’Etat raté de juillet 2016. C’est depuis la prison de haute sécurité de Silivri, en lisière d’Istanbul, par visioconférence et vêtu comme à l’accoutumée d’une chemise blanche impeccable, qu’il a suivi lundi les plaidoiries et entendu l’énoncé du verdict, épilogue d’un feuilleton judiciaire renvoyé de mois en mois.
Face à la cour vendredi, Osman Kavala a également dénoncé l’influence du président Erdogan sur son procès. Il a dénoncé, à la clôture des débats, un « assassinat judiciaire » contre sa personne : « Les théories du complot, avancées pour des raisons politiques et idéologiques, ont empêché une analyse impartiale des événements et [les ont] déconnectés de la réalité », a-t-il lancé avant que les juges se retirent.
Durant l’audience, les trois avocats de l’homme d’affaires, éditeur et philanthrope, ont notamment fait valoir que jamais les juges ne lui ont demandé « où il se trouvait » lors des faits qui lui étaient reprochés. Pendant les plaidoiries, la représentante du Pen Club, association de défense de la liberté d’expression, Caroline Stockford, a demandé aux juges de « lâcher leur téléphone » pour écouter la défense, laissant entendre qu’ils recevaient leurs ordres sur écran.
Crise diplomatique
Les militants des droits humains avaient espéré une libération, qui enverrait un signal positif, alors que la Turquie essaie de faciliter les pourparlers entre l’Ukraine et la Russie. D’autant que le président, Erdogan, recevait simultanément à Ankara le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Comme à chaque audience, une dizaine de diplomates occidentaux étaient présents pour témoigner de leur soutien à celui qui est devenu la bête noire du régime Erdogan.
L’affaire Kavala a déclenché en octobre 2021 une crise diplomatique. Ankara avait menacé d’expulser une dizaine d’ambassadeurs occidentaux, dont celui des Etats-Unis, qui avaient réclamé sa libération – sans finalement mettre à exécution sa menace.
En février 2022, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a lancé une « procédure en manquement »contre la Turquie. Le mois dernier, les procureurs turcs ont réclamé la condamnation de M. Kavala pour « tentative de renversement » du gouvernement, soit une peine de prison à vie sans possibilité de libération anticipée.
Cette nouvelle décision judiciaire n’a d’ailleurs pas manqué de faire réagir hors des frontières turques. Lundi soir, la ministre des affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock, a demandé la « libération immédiate » d’Osman Kavala, dénonçant un arrêt « en contradiction flagrante avec les normes de l’Etat de droit ».
La représentante de Human Rights Watch, Emma Sinclair-Webb, présente au tribunal, a dénoncé sur Twitter le « pire dénouement possible », « horrible, cruel et diabolique ». Le directeur Europe d’Amnesty International, Nils Muiznieks, a fustigé, pour sa part, une « parodie de justice » qui « défie le bon sens ».
Emprisonné quelques heures après avoir été acquitté
Surnommé le « milliardaire rouge »par ses détracteurs, Osman Kavala, né à Paris, avait été arrêté en octobre 2017. Acquitté en février 2020 pour les charges liées aux manifestations de 2013, l’éditeur avait été arrêté quelques heures plus tard –avant même de pouvoir rentrer chez lui – puis renvoyé en prison, cette fois accusé d’avoir cherché à « renverser le gouvernement » lors du putsch raté de juillet 2016, ainsi que d’espionnage. Son acquittement avait, ensuite, été invalidé par la justice turque, mais la reconduction régulière de sa détention en a fait le héros de l’opposition au président Erdogan.
« Avoir passé quatre ans et demi de ma vie en prison ne pourra jamais être compensé. La seule chose qui pourra me consoler sera d’avoir contribué à révéler les graves erreurs de la justice turque », a-t-il déclaré vendredi. En décembre 2020, la Cour constitutionnelle turque avait d’ailleurs décidé que cette très longue détention provisoire ne constituait pas une violation à son droit à la liberté et à la sécurité.