La Turquie a annoncé ce jeudi avoir transféré le dossier de l’affaire de l’assassinat de Jamal Khashoggi à l’Arabie saoudite. La fiancée du journaliste a, dans la foulée, annoncé faire appel de cette décision. Vingt-six Saoudiens étaient jugés par coutumace en Turquie dans l’affaire de l’assassinat et du démembrement du corps, à l’intérieur du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul en 2018, du journaliste saoudien et contributeur au Washington Post, Jamal Khashoggi. Mais ce jeudi, au bout de quelques minutes d’audience, le juge du tribunal d’Istanbul a annoncé sa décision de clore le dossier. Le ministre turc de la Justice Bekir Bozdag avait préalablement donné un avis positif à la requête du procureur, qui souhaitait « clore et transférer le dossier » à l’Arabie saoudite.
Pourtant, au début de l’affaire, la Turquie avait mis en cause le pouvoir saoudien et avait promis de rendre justice au journaliste, dont les restes n’ont jamais été retrouvés, rapporte notre correspondante à Istanbul, Anne Andlauer. Mais cette affaire devenait très encombrante pour le régime turc, qui souhaite de meilleures relations avec le royaume saoudien pour soutenir son économie en difficulté. Le président Erdogan compte beaucoup sur ce rapprochement, à l’image de ceux entrepris avec les Émirats arabes unis, Israël et l’Egypte, pour pallier la chute de la monnaie et l’inflation sur un an de plus de 60%.
Alors que les exportations turques vers l’Arabie saoudite avaient chuté de plus de 90% depuis l’assassinat de Jamal Khashoggi, elles ont augmenté de plus de 25% au premier trimestre 2022. Le chef de l’État turc espère maintenant sceller la réconciliation avec une visite à Riyad dans les prochaines semaines.
Pour justifier la décision judiciaire, les autorités turques avancent des raisons techniques. L’Arabie saoudite n’a jamais coopéré avec la justice turque et les 26 accusés – tous Saoudiens et actuellement hors de Turquie – n’ont jamais été entendus. En réalité, Ankara a cédé aux pressions de Riyad en enterrant l’affaire.
« Violation de la souveraineté turque »
Dès la sortie du tribunal, Hatice Cengiz, la fiancée du journaliste qui attendait son compagnon devant le consulat saoudien le jour des faits, a annoncé faire appel de cette décision. « Nous ne sommes pas gouvernés ici par une famille, comme en Arabie saoudite. Nous avons un système judiciaire qui répond aux doléances des citoyens : à ce titre, nous allons faire appel », a indiqué Mme Cengiz à la presse.
Selon elle, le procureur turc satisfaisait aux « demandes saoudiennes ». « Nous savons très bien que les autorités ne feront rien. Comment peut-on imaginer que les assassins vont enquêter sur eux-mêmes ? », a-t-elle ajouté. « Cette décision de transférer le dossier va à l’encontre de la loi » et « constitue une violation de la souveraineté turque », a renchéri l’un de ses avocat, Me Gokmen Baspinar.
« Le tribunal a accepté de transférer l’affaire à l’Arabie saoudite comme ça, en une phrase, sans même (prévenir) les avocats du rejet de leurs requêtes », s’est indignée sur Twitter Milena Büyüm, une représentante d’Amnesty International en Turquie. Pour Erol Önderoglu, représentant de Reporters sans frontières à Istanbul, par cette décision, « la Turquie envoie un signal effrayant concernant le respect qu’elle accorde à la liberté de la presse ».