LEGS-Africa est une initiative panafricaine d’orientation scientifique, politique, économique et sociale. Un « think tank » regroupant la nouvelle génération de l’élite africaine pour promouvoir la citoyenneté de transformation en Afrique.
Dans le cadre de sa mission de veille citoyenne et d’accompagnement de la redevabilité institutionnelle pour une gouvernance efficiente et transparente des affaires publiques, Elimane Hamidou Kane, Président de Legs Africa, nous a présenté un rapport de perspectives qui annonce une bonne ligne de conduite.
Cette importante présentation devait se tenir dans un grand hôtel de la place, avec l’avènement de la troisième vague de la Covid19 qui annonce une très forte virilité mortelle, ce grand événement s’est finalement tenu en ligne via un Webinaire qui a réuni tous les acteurs et les membres de la dite organisation.
Cette étude a mobilisé une équipe pluridisciplinaire de chercheurs spécialisés en droit de la santé, épidémiologie, économie et socio-anthropologie. Avec l’aide d’un statisticien et d’une quarantaine d’enquêteurs, l’équipe a pu, en six mois de travail séquencé de recherche documentaire, d’analyses des principales décisions officielles, de recueils de données de terrains sur un échantillon de plus de 1200 ménages enquêtés dans les trois localités ciblées, produire un rapport d’évaluation et un rapport de perception qui ont étés présentés au grand public ce jeudi 29 juillet 2021 via l’application zoom.
Guidée par une approche mixte (qualitative et quantitative), l’étude a proposé :
- une analyse des engagements pris, des mesures administratives, sanitaires, économiques et sociales, les actions, des bénéficiaires désignés, des ressources mobilisées dans le cadre de la réponse officielle du Sénégal à la pandémie à COVID19
- une documentation des expériences officielles et de leurs limites dans la transparence des processus de reddition des comptes et dans la par- ticipation des bénéficiaires à leur évaluation
- une analyse des perceptions et attitudes des populations vis-à-vis de la réponse officielle et leurs exigences en matière de redevabilité.
Cette étude qui être dans le cadre du projet Redevabilité
Cette étude qui est effectuée dans le cadre du projet « Redevabilité Active de la riposte de l’Etat du Senegal à la pandémie à Covid-19 », a donc été initiée pour contribuer à la production de savoirs nécessaires pour faire face à cette pandémie.
Il ressort de cette entreprise des constats intéressants qui renseignent sur l’efficacité de l’organisation de la riposte, ses effets sur la gestion de l’épidémie, sur les conditions de vie économiques et sociales des populations, ainsi que leurs comportements et libertés.
Les résultats de cette étude fournissent également des arguments de suivi et de contrôle aux citoyens et une base d’évaluation et de prise de décisions importantes évoqués lors de cette rencontre virtuelle.
Les différentes analyses font ressortir les constats suivants:
Une gestion des données limitée et peu transparente pour mieux apprécier l’évolution épidémiologique.
Depuis le début de l’épidémie au Sénégal, pour en observer l’évolution, le ministère de la Santé et de l’action sociale (MSAS) publie des données récoltées notamment dans les hôpitaux et laboratoires de tests, et établit différents indicateurs chiffrés tels que le taux d’incidence, le nombre de cas positifs et le taux de reproduction du virus. Avec la pandémie à Covid-19, l’évaluation de la propagation et de la sévérité de la crise pandémique est basée sur des indicateurs de synthèse permettant le suivi de l’épidémie.
A la date du 31 mars 2021, le pays a connu deux vagues épidémiques, avec le premier pic au mois de juillet 2020, et le deuxième pic épidémique au mois de janvier 2021. Avec une recrudescence très marquée des cas, la deuxième vague est survenue dans un contexte d’assouplissement des mesures de santé publique et de non-respect des gestes barrières par les populations.
Dès le début de la pandémie en Janvier 2020, le Sénégal s’est appuyé sur son expérience dans la lutte contre d’autres épidémies comme Ebola, pour développer son plan de riposte. Ainsi à travers le MSAS et le ministère de l’Intérieur le pays a pris une série de mesures sanitaires et communautaires.
On note que la sévérité ou l’assouplissement des mesures ne suit pas la courbe épidémique lors de la première vague. La deuxième vague, alors que plus virulente est intervenue au moment où la plupart des restrictions avait été levée et les cas positifs et cas contact étaient isolés à domicile. A travers une enquête portant sur 1200 ménages sénégalais, nous avons mesuré l’efficacité perçue de différentes mesures de santé publique spécifiques prises par l’Etat du Sénégal (couvre-feu, fermeture des lieux de culte, régulation des transports en commun, port du masque obligatoire dans les lieux publiques, interdiction des rassemblements, annulation des événements culturels / sportifs, fermeture des écoles, universités et lieux de cultes, interdiction de voyage inter-régional pendant un à deux mois, mise en quarantaine des cas contacts). Les sénégalais perçoivent les mesures contraignantes de la fermeture des écoles, lieux de cultes et marchés, le couvre-feu, la restriction des déplacements interurbains, comme les mesures les moins efficaces.
Avec la pandémie de Covid-19, les gouvernements africains se sont engagés à prendre des mesures rigoureuses pour assurer l’obligation de rendre compte des dépenses d’urgence et de limiter le risque de corruption et de fraude. Pour le Sénégal nous notons une absence totale du respect de ces mesures de bonne gouvernance et de transparence, malgré la mise n’en place d’une architecture exceptionnelle de gouvernance composée d’un conseil stratégique, d’un comité exécutif et d’un comité de suivi de la mise en oeuvre des opérations du fonds de riposte et de réduction des effets de la pandémie. Le comité de suivi de la mise en oeuvre du FORCE Covid-19 confirme dans son rapport que tous les contrats et factures sont disponibles pour consultation, même si il abandonne la versification de leurs régularité et conformité à la loi aux corps de contrôles de l’Etat. Pendant une période de trois mois (juillet en Septembre), les citoyens pourront consulter les preuves justificatives au siège du comité, avant que ces documents ne soient versés aux archives.
Il est toujours difficile de considérer la pandémie à Covid-19 comme une priorité sanitaire, du point de vue de la comparaison des taux de mortalité et de morbidité avec d’autres maladie non transmissibles, il faut cependant remarquer la sur-médiatisation de la pandémie qui a contribué à occulter ces autres maladies, comme le paludisme qui est pourtant une maladie évitable et traitable, mais qui n’a pas reçu la même attention que la pandémie de coronavirus.
L’analyse épidémiologique est cependant limitée par l’absence d’enquêtes représentatives régulières qui permettent d’avoir une évaluation de la circulation du virus dans la population sénégalaise. Il est difficile de savoir qui est atteint ou qui ne l’est pas, d’autant plus qu’une grande partie des personnes qui contractent le virus ne développent pas de symptômes.
Les indicateurs sont majoritairement basés sur le nombre de tests qui reste faible dans le pays. Mais la principale difficulté à laquelle nous nous sommes confrontés dans cette étude est l’accès aux données. Le processus d’acquisition de données est peu clair, avec une absence de linkage des bases de données et d’un organe de gestion et de régulation des bases de données à caractère public.
Des décisions liberticides inefficaces qui renforcent le pouvoir du Président de la République.
Les mesures prises par l’Etat du Sénégal dans le cadre de la lutte contre la COVID ont des fondements aussi bien au plan national qu’international. En 2001, notre pays a donné une valeur constitutionnelle au droit à la santé, lui conférant ainsi un caractère objectif et mettant donc à la charge de l’état, l’obligation de concrétisation de cet attribut par une protection de ses citoyens contre la maladie.
Le premier constat, en analysant les mesures juridiques, est qu’il y a eu une inflation de normes au tout début de la pandémie. Une hypertrophie de mesures qui s’explique par les nombreuses incertitudes et inconnus entourant la maladie : l’agent pathogène, les modes de transmission, les modalités de prise en charge.
Ensuite, l’adoption d’une approche martiale avec l’usage de la métaphore « guerrière », pour expliquer le péril qui menace sans discernement tous les pays, toutes les couches, une véritable guerre mondiale s’est déclenchée contre cet ennemi commun et invisible, avant d’annoncer une batterie de mesures. En science politique, cette rhétorique guerrière est une tactique efficace pour s’assurer un large soutien sur une politique donnée et museler toute forme d’opposition, au risque de limiter les libertés des gens. Ceci pourrait expliquer l’adhésion et le formidable élan de solidarité qui ont suivi lorsque les premières mesures ont été prises et que la FORCE COVID a été créée.
Cependant force est de constater que plus la crise perdure, plus on se rend compte de l’absence de bases tangibles qui fondent la prise de certaines décisions et de leur anachronisme par rapport à l’évo- lution de l’épidémie dans le contexte sénégalais.
Les décisions prises pour l’essentiel, portent atteinte de manière considérable aux libertés fondamentales garanties par la constitution en son article 8.
Elles interrogent le fonctionnement démocratique parce qu’elles imposent souvent des situations exceptionnelles.
Les enjeux de santé publique dans certaines circonstances peuvent favoriser la limitation des droits et libertés à condition que ces droits soient restreints par la loi, dans l’intérêt d’un objectif légitime, que les procédures soient strictement nécessaires pour atteindre un tel objectif, que ces restrictions soient imposées de la manière la moins limitative possible et de manière non déraisonnable et non discriminatoire.
Les mesures n’étaient ni opportunes ni proportionnelles. Au début de la pandémie, le confinement général ne s’imposait pas. La mesure pouvait être valable dans les trois zones les plus touchées à savoir Dakar, Thiès et Touba qui concentraient 76 cas sur les 79, les trois cas restants étant répartis dans trois régions différentes. Un accent particulier aurait du être mis sur la communication ainsi que les autres stratégies de riposte et la protection des personnes vulnérables. Aussi, fallait-il corriger les défaillances de la surveillance aux frontières car plus de 50% des cas étaient importés.
Parallèlement aux restrictions imposées aux populations, les pouvoirs du Président de la République (PR) se trouvent renforcés.
On remarque aussi que le mimétisme est toujours de rigueur. Le Sénégal n’a pas eu de stratégie adaptée, il a copié sur des pays totalement différents à tout point de vue. En France, un nouveau régime d’exception en matière sanitaire a été institué par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, distincte de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Le Sénégal a seulement ajouté trois articles au nouveau texte en changeant le mot urgence par catastrophe.
Egalement les stratégies mises en oeuvre par l’Etat du Sénégal malmènent un certain nombre de principes d’éthique. La liberté et les droits sont entrés en contradiction avec les mesures de précaution et de bienfaisance. La proportionnalité n’a pas été appliquée et les conséquences socioéconomiques sont désastreuses.
La bienfaisance et la non-malfaisance (ne pas causer indûment de torts à autrui) sont entrés en tension. Par exemple, sur le plan professionnel, l’impact est moins ressenti chez les agents de l’Etat que chez ceux du secteur privé et du secteur informel où l’on a relevé des pertes d’emploi, la fermeture d’entreprises, la baisse de revenus ; même si des initiatives ont été prises par l’Etat pour atténuer les effets pervers des mesures.
Des mesures drastiques contre les réalités d’une économie majoritairement immédiate et informelle.
Le Sénégal compte actuellement 17 223 497 (ANSD, 2021) de personnes, avec un taux de pauvreté ressenti évalué́ en 2015 à 56,5% (chiffres récents indisponibles sur le site de l’ANSD). Avec l’avènement de la pandémie, les mesures prises par l’Etat ont eu des répercussions socio-économiques désastreuses. Avant la crise de la pandémie à Covid-19, l’économie sénégalaise était au bord du gouffre sur tous les plans, les signaux étaient au rouge. Certains investissements faits durant la période pré-électorale de 2019 n’ont pas aidé pour le remboursement de la dette très élevée (presque 9173 milliards de FCFA) et les mesures d’état d’urgence, de couvre-feu, de restrictions des déplacements ont affecté négativement le portefeuille des ménages et des caisses du gouvernement. Face à un problème sanitaire, économique, social, politique…, l’État a apporté une première réponse purement sanitaire, oubliant la portion congrue que représente le secteur formel, avec moins de 3 % des entreprises et un nombre de salariés à environ 400.000 personnes. En moins de 10 jours (23 mars-03 avril 2020), l’économie était presque à genoux. Les restrictions commençaient à impacter négativement l’activité économique, surtout le secteur informel.
Les mesures du Plan de Résilience Economique et social (PRES) qui s’en suivirent sont pertinentes pour soutenir l’économie formelle mais seulement dans le très court terme (maximum 40 jours). Sur les 1000 milliards, aucun filet pour sécuriser le secteur informel. Le manque d’inclusivité du plan de soutien à l’économie démontre ses limites.
A l’exception des médecins, pharmaciens, agents médicaux, militaires et agents de sécurité qui étaient à la première ligne de la riposte, tous les autres corps ont vu leur charge de travail se réduire drastiquement, particulièrement les commerçants, vendeurs, restaurateurs, mécaniciens, ouvriers, femmes au foyer… qui ont plus subi les effets négatifs de la COVID, du fait des mesures de confinement. Ce qui a provoqué des répercutions en chaine sur la production, le pouvoir d’achat des populations, jusqu’aux recettes de l’Etat dont les besoins en nouvelles dépenses sanitaires s’accentuent.
L’aide alimentaire destinée aux populations vulnérables a été sabordée par les polémiques autour du marché des denrées qui révèle une stratégie inopérante insoumise aux règles des marchés publics, et aux principes de la bonne gouvernance. La stratégie de distribution des aides alimentaires est tout aussi problématique. Les mêmes inquiétudes sont perçues quant à la gestion du FORCE Covid-19 notamment la gestion des différents ministères impliqués et aussi des fonds particulièrement destinés au renforcement du système de santé, surtout l’utilisation des équipements au moment où de nouvelles carences sont observées dans la prise en charge des nouveaux malades, avec l’avènement de la troisième vague.
A la fin de ces évaluations, d’importantes recommandations ont étés faites:
• Instaurer une véritable culture de santé publique pour éviter et/ou atténuer au maximum la survenance d’épidémies et leur dissémination, en misant sur la prudence et la prévention et avec une bonne coordination de tous les acteurs;
- Refonder en profondeur notre système de santé pour le rendre résilient afin de faire face aux prochaine épidémies : miser sur des ressources humaines de qualité, relever le plateau technique des structures de santé, prévoir des sites de traitement, asseoir une bonne politique de stock, miser sur la recherche avec un financement adéquat, disposer de données fiables, arriver à l’équité dans l’accès aux soins ;
- Remettre la prévention et la précaution appliquée au centre des priorités des politiques de santé publique;
- Favoriser la redevabilité pertinente car elle revêt un aspect à la fois éthique et juridique ;
- Mettre en place une plateforme « Open data » visant à encourager et permettre aux organismes publics de diffuser de manière spontanée et structurée des données « des identifiées » accessible aux chercheurs et aux citoyens pour favoriser la transparence. Ces plateformes de données doivent être disponibles, dans le respect de la protection des données personnelles et des secrets protégés par la loi, pour permettre la meilleure exploitation des données
- Mener un plaidoyer pour faire de l’investissement en recherche médicale une ultime urgence et priorité
- Mettreenplaceuncomitéd’éthiqueavecdesressourceshumainesdequalité,capablesdeconseiller les décideurs, de protéger les populations et d’éclairer les chercheurs dans des situations d’urgence sanitaire
- Disposer d’une loi sur la santé publique à défaut d’un code de la santé
- Miser sur une bonne information qui éclaire et lutter contre l’info demie.
- Miser sur une communication convaincante qui induit les changements de comportement souhaités.
- Privilégier l’approche communautaire.
- Respecter le principe de transparence et la redevabilité, en l’intégrant comme composante institutionnelle dans l’évaluation et le suivi des politiques de santé publique.
Cette sérieuse étude intellectuelle reste une excellente initiative citoyenne à féliciter et à encourager pour une meilleure cohésion sociale et un développement économique inclusif et participatif.