A la décharge des 17 confrères qui ont relayé la grosse ficelle estivale de la thèse de services secrets marocains espionnant le téléphone du président français Emmanuel Macron, labourant le smartphone du polémiste Éric Zemmour ou encore espionnant les téléphones de 6000 officiels et sécuritaires algériens, plaidons la bonne foi.
En effet, comment en pourrait-il être autrement pour Le Washington Post et Le Monde, des monstres sacrés de la profession médiatique relayant des faits graves, en citant des personnalités de premier plan sans étayer leurs récits de preuves ?
Les médias restent, quel que soit leur prestige, soumis à la modeste loi du recoupement et de la vérification des faits. Certes, il n’est pas rare que des journalistes soient manipulés. « Tous le sont, certains en sont conscients, d’autres non », répète-t-on dans les conférences de rédactions.
Mais, alors qu’au siècle dernier, la manipulation venait des services, du Tailleur de Panama et d’autres fines fleurs croisées entre la diplomatie et la stratégie, de nos jours la manipulation des médias, quand elle ne provient pas de l’industrie humanitaire, vient, horreur, des fake news ou encore des mille et une forme du complotisme charrié par les réseaux sociaux.
Il semble donc au vu des investigations que le logiciel Pegasus soit utilisé par la DGST, le service marocain de surveillance intérieure, rapporte RFI citant le rapport de Forbiden Stories et Amnesty International. Et le média français de s’interroger: « cette affaire très médiatisée pourrait-elle aboutir à une opération de nettoyage dans les rangs des services secrets marocains ? » D’aucuns ont déjà mis à prix la tête de Abdellatif Hamouchi, le patron des services secrets marocains, un bouc émissaire idéal qui aurait selon l’investigation journalistique, poussé l’outrecuidance jusqu’à mettre le Roi Mohammed VI dans la longue liste des personnalités dont les téléphones sont « potentiellement » sous écoute.
Déjà cible de quelques associations et ONG françaises, l’homme avait fait l’objet en 2018 d’une tentative de plainte suivie d’une interpellation alors qu’il séjournait en France. N’eut été les vigoureuses protestations de Rabat, la justice française aurait finalisé une opération orchestrée comme dans le cas du logiciel Pegasus par des ONG.
Aujourd’hui encore, tout part d’allégations.
L’enquête des prestigieux médias relayée en boucle est riche en pistes, mais pèche par la vérification des faits. Le document relayé par nos prestigieux confrères s’apparente plus au réquisitoire du procureur dont La Pravda était passé maître dans l’art qu’a l’enquête factuelle des médias du “monde libre”.
Dans cette affaire Pegasus, le Maroc se retrouve donc accusé en attente de preuves qui gageons-le ne sauront tarder.
En tout cas, bien avant la qualification des faits, confiée finalement à la Justice française, les conséquences des révélations des prestigieux confrères tombent en cascade. « L’Algérie exprime sa profonde préoccupation suite aux révélations (…) faisant état de l’utilisation à large échelle par les autorités de certains pays, et tout particulièrement par le Royaume du Maroc, d’un logiciel d’espionnage dénommé Pegasus contre des responsables et citoyens algériens ». Cette réaction d’Alger intervient en pleine crise diplomatique entre les deux pays maghrébins (rappel de l’ambassadeur de l’Algérie à Rabat sur fond de l’affaire de la Kabylie) en confrontation sur le dossier du Sahara, avec des frontières fermées depuis 1994.
Dans cette grosse affaire, l’on oublie presque que les précautions oratoires du rapport d’enquête des ONG relayées par les journalistes vident l’affaire de sa substance. L’on parle de numéros de téléphones comme “cibles potentielles du logiciel Pegasus”. L’expression “potentielles” nous renvoie à l’hypothèse. Les journalistes ont tout au plus ouvert un rideau. D’où tout l’intérêt du travail de la justice chargée d’établir les faits et de déterminer les responsabilités.
En attaquant en diffamation Amnesty International et Forbidden Stories devant le tribunal correctionnel de Paris, le Maroc donne à la justice l’occasion de tirer les choses au clair.Adama WADE
Directeur de publication de Financial Afrik. Dans la presse économique africaine depuis 17 ans, Adama Wade a eu à exercer au Maroc dans plusieurs rédactions. Capitaine au Long Cours de la Marine Marchande et titulaire d’un Master en Communication des Organisations, Adama Wade a publié un essai, «Le mythe de Tarzan», qui décrit le complexe géopolitique de l’Afrique.